2 Jan 2012
Manager à distance, est-ce possible ?
Mon travail consiste à passer ma journée à lire mes mails et papoter au téléphone. Et comme je suis manager, je suis également très souvent en réunion. Je n’ai guère le temps d’en faire plus. Ça vous tente ? Vous voulez prendre ma place ?
La raison de tout cela, c’est que les équipes que je dirige ne sont pas avec moi. Elles travaillent toutes à distance, à des adresses géographiques différentes et éloignées, ce qui rend difficile toute rencontre physique. Je suis au centre du projet, une sorte de chef d’orchestre. Je centralise les informations et les redistribue aux personnes concernées en m’assurant que chacune ait toutes les informations qui la concernent. Je coordonne les équipes et facilite leur communication. Je prends en charge les points durs afin de limiter le bruit que peuvent subir les équipes. C’est un mode de management très particulier qui nécessite une organisation spécifique. Manager à distance, est-ce possible ? Analyse.
Un grand nombre d’interlocuteurs
Le chef de projet qui est au centre du projet a des interlocuteurs qui sont à la fois des donneurs d’ordre, des exécutants et des opérationnels.
Les donneurs d’ordre expriment leurs besoins relatifs au projet. Les besoins ont des origines variées. La direction générale définit une stratégie d’entreprise dont les axes doivent être pris en compte. Les contraintes règlementaires doivent être respectées et appliquées à des échéances bien précises. Certains domaines professionnels ont des règlements qui évoluent souvent. Cela rythme la vie du projet. Le marketing imagine de nouveaux services pour acquérir et fidéliser les clients. Les opérationnels sollicitent des améliorations de l’existant pour faciliter leur quotidien. Sans parler de la nécessité de régulièrement refactoriser et optimiser les applications du projet afin qu’elles restent maintenables, performantes et au goût du jour.
L’ensemble de ces besoins sont centralisés et priorisés par un chef de projet donneur d’ordre. Lorsqu’il y a autant de sollicitations sur le projet et un besoin permanent de les prioriser, la méthode Agile devient un vrai allié. Cette personne est le responsable du produit ou product owner dans le jargon de la méthode. Si vous n’êtes pas familier avec la méthode Agile, lisez l’article « La méthode Agile pour gérer vos projets » et « Le rituel Agile : la cohésion d’un groupe ».
Les exécutants sont en général des équipes de développement. Ils réalisent évolutions et corrections au fil des demandes selon les priorités des donneurs d’ordres.
Les opérationnels sont responsables du bon fonctionnement de l’application au quotidien. Ils se divisent en trois catégories. Les administrateurs installent les applications, s’assurent de leur bon fonctionnement technique et remontent des alertes en cas de dysfonctionnement. Les animateurs font vivre les applications en mettant à jour les données et s’assurent qu’elles sont toujours à jour. Le service clients répond aux sollicitations des clients et remonte leurs principales remarques.
Le chef d’orchestre
La glu de tous ces acteurs est un chef d’orchestre qui doit s’assurer que la musique du projet suit parfaitement la partition. Il a généralement le titre de chef de projet. La méthode Agile préfèrera utiliser le terme de scrum master. Il doit concilier les intérêts des uns et des autres tout en suivant la ligne directrice du product owner. Il doit surtout rendre possible la réalisation des évolutions du produit, notamment en matière de timing, en réalisant un chiffrage précis avec l’aide de son équipe.
Pour y arriver, deux impératifs doivent être respectés :
- chaque équipe doit avoir un chef de projet ou un interlocuteur principal,
- des outils partagés et accessibles par tous doivent être utilisés pour que chacun ait accès à l’information dans sa version la plus récente.
Un interlocuteur principal par équipe
Dans le cas où il y a plusieurs équipes de développement, il est impératif que chaque équipe ait un interlocuteur unique. C’est d’autant plus vrai quand les équipes sont dispersées géographiquement. Ce chef de projet devra s’assurer qu’il possède toutes les informations relatives à son périmètre. Il répondra à toutes les questions de son équipe. Si l’équipe est bloquée par un point dur, il le remontera au chef d’orchestre et vérifiera régulièrement que son point dur est en cours de traitement, jusqu’à sa résolution. Cela n’empêche pas un membre de l’équipe de contacter directement le chef d’orchestre ou une personne d’une autre équipe s’il juge plus efficace de le faire ainsi plutôt que de passer par un intermédiaire qui n’aura aucune valeur ajoutée.
Ce principe de n’avoir qu’un interlocuteur principal par service doit être respecté pour tous les services. C’est en effet dès qu’il y a deux personnes à contacter pour le même besoin que les choses se compliquent. Quand la première est informée d’une évolution du projet, la deuxième ne l’est pas et pourra prendre des décisions erronées en ne sachant pas ce que son collègue a dit. Et lorsque l’on demande quelque chose aux deux personnes, il arrive de ne pas avoir de réponse, l’une pensant que l’autre a répondu, et vice versa. C’est encore pire s’il y a plus de de deux personnes susceptibles de répondre. Cela n’empêche pas d’avoir un backup quand l’interlocuteur principal est absent, surtout en période de congés.
Des outils partagés et accessibles par tous
Les outils sont fondamentaux à partir du moment où les équipes ne sont pas physiquement ensemble. Ils doivent être partagés et accessibles par tous. Le partage via un disque réseau n’est donc pas possible car il se limite en général à un réseau interne. Certaines personnes n’auront très probablement pas accès à ce disque. Il faut encore moins communiquer les documents par Email. Microsoft Outlook est trop souvent utilisé comme gestionnaire de documents. À tort, car rien ne garantit que tous les interlocuteurs intéressés soient destinataires de ce document, et il est bien difficile de suivre avec cet outil leurs différentes versions. Il arrive ainsi très souvent que chacun utilise comme référence une version différente du même document, entraînant ainsi une confusion générale dans le projet. L’Email est par contre tout à fait adapté pour notifier des évolutions de ces mêmes documents.
Parmi les outils de partage de documents, Dropbox et Sugarsync méritent l’attention. Ce sont en effet des systèmes de partage de fichiers qui assurent la synchronisation entre les différentes machines qui accèdent à ce répertoire partagé. Sur chaque machine, tous les fichiers qui se trouvent sur le répertoire partagé sont dupliqués et synchronisés dans les répertoires équivalents des autres machines. Un système de droits d’accès permet de gérer l’accessibilité de ces documents. Dropbox est gratuit jusqu’à 2 Go de stockage, Sugarsync, 5 Go. Au-delà, des abonnements mensuels sont proposés.
Attention toutefois, ces offres n’ont pas de système de publication. Tout fichier modifié est automatiquement partagé. Et tout fichier effacé est… effacé. Une catastrophe peut rapidement arriver. Autre défaut, il n’est pas possible d’associer des commentaires aux fichiers, pour les remettre dans le contexte.
Les systèmes permettant la publication des documents sont plus efficaces mais aussi moins ergonomiques. En effet, pour publier, il faut envoyer le fichier. Et pour le réceptionner, le télécharger. Cela a tout de même l’avantage de n’y voir que des fichiers publiables, y compris dans des versions intermédiaires. Chaque fichier est versionné. Ainsi chacun sait quelles sont les dernières versions des documents. De plus, il est plus difficile de les effacer par erreur. Parmi les systèmes les plus connus, il y a Google Documents qui est gratuit jusqu’à 7 Go de stockage. Il est juste nécessaire d’avoir un compte Google pour en bénéficier.
Un moyen encore plus efficace de communiquer, c’est d’avoir un Wiki dédié au projet. Le wiki permet de stocker des fichiers versionnés, mais également de les agrémenter de pages d’informations et de documentation. Avec un Wiki, on est libre de choisir l’arborescence que l’on veut et d’y mettre les pages que l’on souhaite. Il est de fait toujours adapté au contexte de votre projet. Il est accompagné d’un moteur de recherche qui permet facilement de retrouver les pages recherchées. Toutes les personnes ayant accès au Wiki peuvent contribuer au projet. Ainsi, chacun participe à l’effort de documentation et tout le monde en profite. L’un des Wikis les plus connus est Wikipedia, l’encyclopédie collaborative. Il fonctionne avec le moteur Wikimedia qui est open source. Je citerais également Confluence, d’Atlasian, qui lui est payant.
Les réunions
Ce n’est pas parce qu’on est à distance qu’il n’y a plus de réunions. Malheureusement ! En revanche, la distance aidant, les réunions sont moins nombreuses et plus efficaces. Beaucoup de managers se plaignent des réunions interminables et inefficaces. Là, il n’en est rien. Et comme elles sont à distance, elles démarrent toujours à l’heure. Un bon point !
La plupart du temps, les réunions se font par téléphone, sans visiophonie. La visiophonie pourrait être considérée comme un plus, mais en pratique, ce n’est pas le cas. On s’en passe très bien. Quand le nombre de participants est important, on est moins impliqué et on a tendance à faire quelque chose d’autre en même temps, ce qui est impossible en visiophonie.
Les adeptes de la visiophonie s’intéresseront à Google Plus, qui est le nouveau réseau social de Google. Il offre un service de visiophonie assez intéressant. Chaque participant est affiché dans une mosaïque, et une grande image montre celui qui a la parole. À chaque changement d’interlocuteur, l’image change. C’est automatique.
D’autres systèmes plus anciens permettent d’avoir une liaison vidéo à deux, voire trois au maximum. Vous ne m’en voudrez pas, j’ai oublié le nom de la société qui propose ce service.
Pour les communications uniquement audio, le système Arcada est le plus connu des entreprises. Chacun appelle un même numéro pour se joindre à la conférence. L’organisateur saisit un mot de passe pour démarrer. En fonction de la configuration, les participants peuvent également avoir à saisir un mot de passe de participant. Ensuite, chacun peut parler comme s’il était au téléphone avec l’autre. Mais là, tout le monde entend et tout le monde peut intervenir. Le nombre de participants et virtuellement illimité. J’ai participé à des réunions téléphoniques qui réunissaient plus de vingt interlocuteurs. Avec de la discipline, cela fonctionne très bien.
Autre système qui commence à être apprécié par les entreprises bien que trop souvent bloqué par les proxys d’entreprise, Skype. Très connu du grand public, ce système est accessible de partout, y compris de son téléphone portable. Apple, de son côté, propose Facetime, limité aux terminaux de sa marque. Le nombre de solutions existantes dans ce domaine est innombrable. Il est important d’en choisir une qui fédèrera le plus grand nombre de participants, car rien n’est plus contre-productif que d’avoir un système auquel tout le monde ne peut pas accéder.
Puisque vous allez passer beaucoup de temps au téléphone, ne faites pas l’économie d’un casque téléphonique à deux oreilles. Non seulement cela vous permet de vous isoler de l’Open space quand vous êtes en communication, mais en plus, vous gardez l’usage de vos deux mains et vous parlez moins fort (car vous ne vous entendez pas) et êtes plus posé. Difficile dans ces conditions de s’énerver. Que des avantages !
La communication des informations et le suivi des actions
Toute communication d’information, même si elle l’a été par téléphone, doit être transmise par mail. Idem pour toute demande de nouvelle action, même s’il existe un document de suivi des actions par ailleurs. Comme vous n’aurez pas la réponse à votre demande immédiatement, vous devez dans votre formulation la prioriser dans le temps. Si une réponse est nécessaire dans l’heure, ce n’est pas comme l’attendre pour dans une semaine. Dans tous les cas, vous devez vous-même faire le suivi des sollicitations que vous avez faites. Les mails sont imparfaits et il n’est pas certain que vous ayez réponse à toutes vos sollicitations. Si vous ne les avez pas notées vous-même, vous aurez encore moins de chance d’avoir une réponse et vous ne vous rendrez compte de ce manque que bien trop tard. Ne partez surtout pas du principe que votre destinataire n’oubliera pas de vous répondre. Ayez une attention toute particulière pour les changements de spécifications de dernière minute. Une notification non prise en compte, et voilà votre besoin réalisé dans son ancienne version. Et vous vous en rendrez compte trop tard, à la livraison.
Faites impérativement au moins une réunion hebdomadaire avec chacune de vos équipes, une réunion différente par équipe, afin de faire le point sur les actions en cours et les évolutions du projet. Cette réunion sert le plus souvent de ramasse-miettes des sujets passés entre les mailles du filet, et permet bien souvent de découvrir les quiproquos. Indispensable !
Ce n’est pas une bonne idée de faire une unique réunion de suivi hebdomadaire avec toutes les équipes en même temps. Les équipes n’étant intéressées que par les sujets qui les concernent, ce genre de réunion devient rapidement soporifique et donc contre-productif.
La méthode Agile fonctionne avec des réunions quotidiennes appelées Scrum. Cette réunion permet à une équipe de partager son avancement quotidien. Elle se limite uniquement aux membres de l’équipe. Lorsqu’il y a plusieurs équipes, chaque équipe a son propre Scrum. Il est par contre possible d’organiser un Scrum de Scrum, c’est-à-dire un second Scrum composé uniquement d’un représentant par équipe, en général, le Scrum master. Ces réunions quotidiennes ne doivent jamais dépasser les 15 minutes. Elles n’ont pas le même objectif que les réunions hebdomadaires.
Les outils collaboratifs
À l’occasion d’une réunion, il est possible que chaque participant suive des pages de présentation support de la réunion. Microsoft Powerpoint fait largement l’affaire dans ce domaine. Il suffit que le présentateur signale chaque changement de page à ses auditeurs.
Si la réunion consiste à faire le point sur le projet et qu’il faille faire le suivi des actions de chacun, un outil collaboratif où chacun peut écrire simultanément est indispensable. La plupart du temps, les actions sont suivies dans un tableau. Plutôt que d’utiliser Microsoft Excel qui n’est pas collaboratif, préférez Google Documents. Le document est en ligne et peut être ouvert en même temps par plusieurs personnes. Tout le monde peut modifier le document en même temps et voir en temps réel les modifications des autres. La seule limite ? Il n’est pas possible que deux personnes éditent la même cellule en même temps.
Autre moyen de suivre des actions, un système de tickets, chaque ticket représentant une action. Mozilla propose Bugzilla. Les développeurs Java connaissent Maven. Atlasian édite Jira. Les choix sont pléthoriques. Ce dernier a l’avantage de proposer une solution en SaaS (Software as a Service). Moyennant un abonnement mensuel, vous bénéficiez d’un service d’hébergement de l’application qui vous est entièrement dédié. Vous la configurez à votre guise et bénéficiez sans action de votre part de ses mises à jour. Vous bénéficiez par la même occasion de Confluence qui est un Wiki et bien d’autres services, dont Subversion pour versionner vos fichiers de programme.
Il peut être utile dans certains contextes de voir l’écran de son collègue afin de mieux visualiser son problème ou lui expliquer quelque chose. Il est plus efficace de voir et montrer plutôt que de décrire. Logmein est adapté à cette situation. Avec Logmein, vous vous connectez sur un écran à distance et interagissez avec la souris et le clavier comme si vous étiez directement sur le poste. Celui qui est devant l’écran voit sa souris se déplacer et le texte se taper comme si c’était lui qui le faisait. C’est toutefois limité à une connexion entre deux postes. Le logiciel est gratuit et sait passer la plupart du temps au travers des proxys des entreprises.
Point d’outil, point de salut
La grande erreur du management à distance est de le faire sans outil. Car sans outil, l’unique moyen de communication devient le mail. Le mail est parfaitement adapté pour notifier mais absolument pas pour faire un suivi des actions et n’est pas non plus un gestionnaire de documents. C’est ainsi que tôt ou tard vous vous ferez interpeller par un collègue qui n’a pas suivi un sujet. Il s’étonnera du résultat livré en fin de projet qui est différent de ce qu’il s’imaginait et vous prouvera, mail à l’appui en reprenant un échange bien ancien, que c’est vous qui vous êtes trompé. Malheureusement, entre temps, plusieurs mails ont amendé ce sujet et des actions bien différentes ont été entreprises. À moins que vous n’ayez tout simplement lu ce mail qu’en diagonale ou que vous soyez passé au travers de celui-ci. C’est la conséquence obligatoire et immédiate d’une gestion de projet à distance sans outil.
Autre travers assez courant, le suivi du planning. Sans outil, chacun vous demandera et vous redemandera les échéances du projet et son contenu. Il faudra le répéter et le répéter encore plutôt que de vous référer aux outils. Une perte de temps considérable.
Et pour terminer…
Vous voilà fin prêt à gérer un projet à distance. Vous aurez peut-être un autre problème à gérer, le décalage horaire entre les équipes si vos collègues sont à l’autre bout du monde. Dans tous les cas, qu’ils soient dans le même pays ou à l’autre bout du monde, vous aurez nécessairement une interactivité moins importante que si vous étiez tous dans les mêmes locaux. Impossible donc de poser une question pour obtenir une réponse immédiate. Vous devez anticiper vos questions. Préparez votre liste de questions et posez-les d’un bloc à l’occasion d’une conférence téléphonique. Il est en effet anti-productif de s’appeler à chaque question comme on pourrait le faire en étant à côté de son collègue. Ce dernier étant distant, il n’est pas possible de voir s’il est disponible ou pas pour répondre à vos questions. Pour le savoir, vous devez l’appeler et peut-être le déranger.
Après une période de rodage et avec un peu d’habitude, vous arriverez rapidement à manager vos équipes à distance avec une efficacité presque aussi proche que si elles étaient dans les mêmes locaux. Du moins, si vous êtes très rigoureux…
Franck Beulé
Chef de projet Agile, expert des technologies de l’Internet et en ergonomie du Web
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