29 Août 2016
La voix du coach Agile
InfoQ a initié en ce début d’année une série d’articles nommés « La voix du coach ». Le but est de donner la voix à plusieurs coachs Agiles sur ce qu’ils pensent de leur métier afin de créer des vocations. Pas moins de 23 coachs Agiles se sont pliés à l’exercice et pas des moindres. On retrouve là les grands noms du coaching Agile, même s’il en manque quelques uns. Je me suis également prêté à cet exercice.
Retrouvez l’ensemble des interviews sur le site de InfoQ, notamment mon intervention qui a été la dernière (car je n’avais pas eu le temps de la faire plus tôt, honte à moi).
Ci-après, mon intervention au cas où la page disparaisse d’InfoQ un jour.
La voix du Coach
A l’heure du digital et de l’Agile à l’échelle de l’entreprise, les offres pour accompagner les équipes et organisations dans ces mutations se multiplient, et la transition reste toujours délicate et longue. Pour démêler les discours, InfoQ FR propose un panorama hétéroclite de ces accompagnants de l’agilité, souvent appelés « coachs », pour donner une voix à ce « métier », et aussi un visage, des pratiques, des modes d’agir dans les organisations.
Cette série propose la vision de coachs français sur leur définition du coaching, leur parcours, leurs réussites et échecs, ainsi que des conseils et éléments de réflexion actuels.
Franck Beulé
Coach Agile et salarié dans un grand groupe industriel, Franck est par ailleurs auteur d’un blogayant pour thématique le Hi-tech et l’Agilité. Il contribue activement aux communautés Agiles, en tant que participant, orateur et animateur de jeux Agiles.
InfoQ FR : Pourriez-vous vous présenter et expliquer à nos lecteurs votre définition de votre métier ?
Franck Beulé : Je suis salarié d’un grand groupe industriel depuis début 2013 et fais partie d’une cellule de 9 coachs Agiles, créée en 2012, dont la mission principale est d’accompagner les projets du groupe et de ses clients à l’adoption des pratiques Agiles. Le rôle du coach Agile est de faciliter cette adoption en intervenant à tous les niveaux :
- En amont pour des activités de sensibilisation afin de donner à ceux qui s’interrogent l’envie d’y aller,
- En formation pour transmettre la théorie,
- En accompagnement de projet pour passer de la théorie à la pratique,
- En accompagnement d’organisation pour transformer tous ses projets,
- Et de manière transverse par le développement de communautés Agiles.
InfoQ FR : Pourriez-vous revenir sur votre parcours et ce qui vous a mené à votre pratique actuelle ?
Franck Beulé : J’ai démarré ma carrière en 1995 en tant que développeur. Je suis ensuite devenu chef de projet. J’ai également travaillé dans des équipes transverses afin de proposer des outils aux développeurs (les prémices de l’intégration continue et de la qualimétrie).
En 2007, l’entreprise où j’étais à l’époque a décidé de passer à l’Agilité. Nous avons tous suivi une formation Agile puis nous avons été livrés à nous-mêmes. Autant vous dire que sans accompagnement, nous avons cumulé toutes les mauvaises pratiques (daily meetings d’une heure trente, reporting du temps passé, …). En tant qu’intervenant transverse, j’ai essayé d’apporter de la structuration mais mes propositions étaient inaudibles. Les résultats pour les projets étaient mitigés.
En 2010, j’ai rejoint une autre entreprise qui avait fait appel à un coach Agile. J’ai découvert une toute autre Agilité et surtout sa dimension « efficacité ». Cela n’avait rien à voir ! J’ai assuré la transformation Agile du périmètre dont j’étais responsable, à la fois côté réalisation, production et métier. Une réussite ! Rendue visible par le rattrapage de tout le passif accumulé avant mon arrivée, une fluidité dans le traitement du backlog et la sérénité que cela entraîne, et une qualité accrue visible par des incidents de production bien moins nombreux ! Durant cette phase, lorsque je rencontrais des difficultés, je demandais conseil au coach Agile qui m’orientait.
Fort de ces expériences heureuses et malheureuses, j’ai eu envie de partager mon savoir-faire acquis. Devenir coach Agile devenait pour moi une évidence.
InfoQ FR : Concrètement, comment se traduit votre métier au quotidien ? Qu’est-ce que vous faites ?
Franck Beulé : J’interviens ponctuellement sur un projet, jamais plus de deux jours consécutifs, à l’exception de la formation qui peut durer jusqu’à trois jours. Je suis le projet sur une période d’environ six mois, parfois un an. Cela implique de travailler sur plusieurs projets simultanément dans des contextes et des endroits différents.
La sensibilisation se traduit généralement par une réunion de deux heures où je me laisse guider par les questions des participants.
La formation suit au départ un programme que j’ai établi et que j’ajuste ensuite en fonction des participants. Elle est composée pour moitié de jeux qui permettent de mieux appréhender les notions évoquées. Pour cela, j’ai ma valise avec des Lego, des spaghettis, des balles de tennis et bien d’autres ustensiles.
L’accompagnement consiste à minima de participer au moins une fois à chaque événement Agile, de l’animer la première fois pour les débutants et d’apporter ensuite un feedback sur son déroulement. Mais le gros du travail, c’est surtout d’aider à répondre à des problématiques qui bloquent la fluidité du processus de réalisation. Certaines d’entre elles et leurs solutions sont connues par les coachés. Dans ce cas, mon rôle se limite à les convaincre de mettre tout de suite en œuvre les solutions qu’ils ont imaginées. Dans d’autres cas, ils n’ont pas conscience du problème ou adressent le mauvais sujet. Je dois donc les aider à en prendre conscience et les orienter.
Les projets que j’accompagne sont souvent dans des systèmes complexes et pluriannuels, mêlant logiciels, hardware et une dimension système, avec de nombreux acteurs. Les méthodologies Agiles nécessitent des adaptations en raison du nombre de dépendances, les délais qu’impliquent les développements hardware et la quantité de contraintes à prendre en compte. Il est nécessaire de les adapter à la situation sans pour autant trahir les valeurs et les principes du manifeste Agile.
InfoQ FR : Quelles sont vos sources d’inspiration et de formation ?
Franck Beulé : En tout premier lieu, les collègues coachs de ma cellule avec qui j’échange beaucoup. Comme nous travaillons sur des contextes similaires, leurs avis sont précieux. Ils m’aident à aller au-delà de ce que je m’imagine être capable de faire. Sur les gros projets ou les transformations d’organisations, nous travaillons en binôme sur le même périmètre. Ces situations sont très favorables à la montée en gamme. Cela bénéficie autant au client qu’à nous.
Ensuite, j’investis beaucoup de temps dans la veille technologique et je participe à de nombreux meetups. J’alimente également la communauté en donnant des conférences et en publiant sur mon blog, ce qui nécessite auparavant que je fasse des recherches sur le sujet.
Historiquement, je suis plus Agile que coach. J’apprends donc beaucoup sur la posture du coach. Ma récente certification Coach Agile m’a permis d’en saisir la dimension.
InfoQ FR : Pour vous, quelle est la partie la plus intéressante de ce que vous faites ?
Franck Beulé : Le terrain de jeu qu’offre l’entreprise dans laquelle je travaille est immense, autant par sa complexité que par sa variété de contextes. A aucun moment je n’aurais imaginé travailler dans les domaines où j’interviens. Et pourtant, j’arrive toujours à y appliquer les valeurs et les principes du manifeste Agile. Cette variété est enrichissante. En trois ans et demi que je suis à ce poste, j’ai connu plus de contextes différents que dans tout le reste de ma carrière.
Certaines situations nécessitent de trouver des réponses innovantes qui me permettent d’expérimenter des nouvelles choses. Par exemple, avec une équipe que je coache et qui n’arrive pas à s’entendre sur un périmètre à atteindre à l’horizon de trois mois, je suis en train d’organiser un Release day avec toute l’équipe et les parties prenantes du projet afin de cadrer ce périmètre, tant en termes de priorités que de faisabilité. Cette journée est inspirée du PI Planning du framework SAFe et de Retex réussis hors de ce framework.
InfoQ FR : A l’inverse, qu’est-ce qui vous paraît compliqué dans la posture du coach ?
Franck Beulé : La mission du coach est d’aider les coachés à trouver leurs propres réponses. En tant que spécialiste technophile, j’ai plutôt tendance à être consultant, c’est-à-dire à proposer mes réponses, alors que je devrais plus adopter la posture basse, à savoir poser les bonnes questions pour que les coachés trouvent eux-mêmes leurs réponses et gagnent ainsi en autonomie. C’est encore très difficile pour moi. C’est l’axe d’amélioration que je me suis fixé pour 2016 et je commence à avoir des résultats tangibles. Ça fait plaisir !
InfoQ FR : Quelles sont vos plus belles réussites en tant que coach ?
Franck Beulé : Avoir une équipe qui se pose les bonnes questions et qui comprend du premier coup les conseils que je leur donne et qui les adoptent naturellement comme s’ils les avaient toujours pratiqués. A partir de ce moment-là, on peut commencer à viser l’excellence et aller au-delà du projet en servant de référence pour l’organisation. J’y travaille encore sur un de mes coachings et espère avoir un super Retex à la fin de l’année.
InfoQ FR : Quels sont vos plus criants échecs ? Qu’en avez-vous appris ?
Franck Beulé : Arriver à la fin de mon coaching en ayant le sentiment du devoir accompli avec une équipe mature et autonome qui a bien compris l’Agilité et, malgré cela, avoir un commanditaire insatisfait de mon intervention. Pour éviter cela, il est important de cadrer le périmètre de l’intervention de coaching dès le départ, notamment en identifiant les objectifs à atteindre et les parties prenantes et ne pas se limiter à coacher l’équipe de réalisation. Le commanditaire doit aussi être inclus dans le dispositif.
InfoQ FR : Comment percevez-vous le déploiement de l’Agile dans les organisations françaises ?
Franck Beulé : 2012 est semble-t-il une année charnière pour bon nombre de grands comptes français. A cette époque, le déploiement Agile était tout au plus expérimental. Aujourd’hui, il fait partie intégrante d’une stratégie d’amélioration de la performance. En 2012, c’était une curiosité. En 2016, c’est considéré comme un vecteur d’avenir.
Pour autant, les pratiques induites du Cycle en V restent tenaces. Et même dans un contexte de transformation favorable, les pratiques Agiles ne vont pas de soi. Il est difficile de remettre en cause une organisation qui a été construite en plusieurs années. Cela génère des activités contre-productives, comme la nécessité de faire du double reporting, l’un Agile souvent automatisé et l’autre classique consolidé manuellement.
En termes d’outillages, la maturité augmente. L’intégration continue est devenue une pratique courante, la qualimétrie du code est souvent présente. La présence de tests automatiques est encore trop rare. Certains n’y croient tout simplement pas et sont persuadés que seuls les tests manuels sont efficaces. D’autres ont vécu des expériences malheureuses de tests automatiques mal définis et qui ne révèlent pas les bugs ou qui doivent être largement réécrits à chaque changement fonctionnel important. Enfin, le DevOps commence à entrer dans le vocabulaire des gens, surtout dans les projets utilisant des technos Web.
Là où la maturité manque encore, c’est sur les indicateurs d’avancement, notamment pour rassurer sur l’atteinte d’une cible moyen terme (à trois mois) ou long terme (à un an ou plus). Les points de complexité restent suspects et les décideurs restent attachés à leurs jours-hommes. Les Product Owners ont un mal fou à créer des Releases Burnups et Project Burnups. Par contre, quand ils sont faits sérieusement, ils sont diablement prédictibles !
InfoQ FR : Comment analysez-vous le développement du coaching agile sur les dernières années ?
Franck Beulé : Le framework Scrum parle d’une équipe de neuf personnes maximum. Le coaching Agile s’est initialement développé dans ce contexte d’une équipe limitée à neuf personnes. Bien que le framework évoque sa scalabilité via le Scrum de Scrums, les contextes Agiles étaient bien souvent capés à cette limite. On entendait souvent : « Ce projet est trop gros pour faire de l’Agile ». La réalité, c’est surtout qu’il n’y avait pas assez de Retours d’expérience et les enjeux financiers étaient bien trop importants pour prendre le risque.
Aujourd’hui, nous avons suffisamment de retours de petits et de gros projets pour que neuf ne soit plus considéré comme une limite. Il y a donc plus de coachings sur des contextes projets plus larges. Une manière de le voir est l’arrivée d’une vingtaine de frameworks (ou équivalents) dits à l’échelle, chacun ayant sa manière d’appréhender le sujet. Le modèle Spotify a été le premier à faire le buzz. Aujourd’hui, on parle beaucoup de SAFe, certainement parce qu’il est très bien ficelé commercialement et s’adapte plus facilement à un contexte de grosse entreprise.
En réalité, tout le monde se cherche et le coach Agile a une énorme carte à jouer. C’est ainsi que se développent des frameworks à l’échelle « maison » composés des meilleurs idées tirées des autres frameworks. On est encore dans l’expérimentation.
Les décideurs qui ont compris les gains de l’Agilité après l’avoir expérimentée sur un projet cherchent à l’étendre sur tout leur portefeuille de projets, ce qu’on appelle l’Agile Portfolio.
Au final, le coach Agile intervient dans un périmètre toujours plus large qui peut aller jusqu’au niveau de l’entreprise dans son ensemble. Il s’agit de l’entreprise Agile, un terme qui cherche encore sa définition exacte. D’ailleurs, je compte m’essayer à cet exercice d’ici la fin de l’année.
InfoQ FR : Si nos lecteurs veulent se lancer, par où leur conseilleriez-vous de commencer ?
Franck Beulé : Commencer par la lecture des livres les plus réputés et comprendre ce qu’implique le manifeste Agile en termes de changement de culture. Avoir une connaissance des principaux frameworks Agiles ainsi que les bonnes pratiques d’ingénierie.
Ensuite, avoir une expérience du terrain. C’est l’expérience qui forge le coach Agile. Faire ses classes dans une équipe Agile, par exemple en tant que Scrum Master, idéalement accompagné par un coach Agile.
Ne jamais croire que c’est fini. Etre coach Agile, c’est une éternelle remise en cause. Les situations sont si variées, les maturités évoluent si vite qu’il est difficile de s’adapter et d’avoir toujours une longueur d’avance.
Pour conclure, petit teaser, je vous donne rendez-vous en 2017 pour vous présenter un espace où vous aurez tous les conseils pour commencer. Affaire à suivre !
InfoQ FR : Quelles sont les tendances qui vous ont étonné récemment et que vous pourriez partager avec nos lecteurs ?
Franck Beulé : La maturité des pratiques s’est développée. Les nombreux retours d’expérience existants ont permis de valider que ça marchait. Les doutes sur l’Agilité se raréfient. L’Agilité à l’échelle est un assemblage de bonnes pratiques expérimentées par le passé avec une attention particulière sur la communication des personnes et la synchronisation des activités.
L’arrivée du DevOps nous a rappelé qu’un projet ne se limite pas à l’expression du besoin, sa réalisation et sa validation. La suite est encore plus importante : son déploiement et son exploitation. L’avènement du Cloud a facilité le déploiement continu et le Big Data, l’exploitation des logs.
Aucune de ces nouveautés n’a remis en cause les fondements du manifeste Agile de 2001 !
Ce qui m’amène à poser une question : Inventerons-nous un jour une nouvelle façon de travailler qui remplacera l’Agile ?
Franck Beulé
Coach Agile, expert des technologies de l’Internet et en ergonomie du Web
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