FreeStore, la boutique que tout le monde attendait… ou presque

C’est en plein milieu du mois d’août, pendant que tout le monde était en vacances, que le FreeStore a ouvert ses portes en catimini. Et pourtant, le rêve d’offrir à tout un chacun de développer des applications pour la télévision est attendu depuis plus de dix ans. Analyse.

Un peu d’histoire…

La télévision numérique a fait son apparition en France en 1996 grâce au bouquet satellite Canal Satellite du groupe Canal Plus. Le décodeur Mediasat qui permettait de recevoir ces programmes était doté de 512 Ko de mémoire. Bien peu, mais suffisant pour lancer les premières applications interactives sur la télévision à l’aide du langage propriétaire Pantalk. Notamment, le guide des programmes devenu si populaire qu’il est aujourd’hui proposé par tous les autres opérateurs. Parmi les autres applications, il est possible de jouer, pour le plaisir ou pour de l’argent avec l’application du PMU, ou de s’informer (nombreux magazines en tout genre). Certaines applications ont été réalisées par des sociétés extérieures partenaires de Canal Plus. L’architecture du système ne permet toutefois pas d’ouvrir l’interface de développement au grand public.

Les générations de décodeurs suivants, Pilotime pour le premier (premier enregistreur à disque dur) puis MediaSat Plus (compatible TNT), MediaSat Max (Télévision HD et disque dur externe), Dual-S (satellite et TNT) et enfin le Cube (télévision de rattrapage, vidéo à la demande) fonctionnent avec des applications en Java, un langage bien plus répandu et un moteur HTML développé en interne. Les sociétés partenaires continuent à développer de nouvelles applications interactives, mais il est trop risqué pour Canal Plus de permettre à tout un chacun de développer ses propres applications ou même d’ouvrir l’accès à Internet via le navigateur embarqué. Les applications fonctionnent toutes en Walled Garden (Jardin fermé).

On aurait pu imaginer plus d’innovation chez les challengers. TPS, le bouquet satellite de TF1 eut lui aussi son langage propriétaire et une architecture qui ne permettait pas ces innovations. Le bouquet a été entre-temps revendu à Canal Plus. Côté câble, Numéricable est aujourd’hui l’opérateur quasi unique en France. Les différents décodeurs n’ont pas non plus innové dans ce sens.

Ce n’est pas du côté des opérateurs historiques que le rêve se réalisera…

Avec l’ADSL, la donne change…

Free, que l’on appelle « le trublion de l’Internet », est l’opérateur qui a lancé le concept de Box. Depuis, tous les opérateurs concurrents s’y sont mis. Free a toujours été le premier à innover en proposant des services inédits, les autres opérateurs lui emboîtant le pas quelques mois plus tard pour proposer les mêmes services. Free est toutefois resté le seul a permettre au grand public de s’exprimer au travers de la télévision.

Première innovation du genre, le service TV perso, arrivé le 28 juin 2007. Pour la première fois au monde, chacun pouvait diffuser ses propres émissions de télévision en direct ou en différé, visible sur la télévision de tous les autres abonnés Free. Les prises d’acquisition audio et vidéo disponibles sur la Freebox v4 permettent de se connecter à une caméra vidéo du commerce ou tout autre appareil de montage vidéo. En pratique, la qualité des programmes n’est pas vraiment au rendez-vous et bien qu’il y ait des émissions régulières, elles ne sont pas vraiment mises en valeur. Ce service existe toujours et reste très actif. Il reste néanmoins méconnu de bon nombre de personnes.

Viennent ensuite les Télésites, apparus le 5 mars 2008. TV perso permettait de s’exprimer en images, les Télésites permettent de s’exprimer en texte. Free ouvre l’accès à son navigateur Internet rudimentaire avec des quantités de restrictions. Il n’est pas possible de donner l’accès à un site Internet classique, une version Télésites spécifique doit être réalisée. Les limitations sont telles qu’il devient très difficile de faire fonctionner quoi que ce soit. Bien qu’il y ait quelques Télésites très réussis comme par exemple la possibilité de consulter Facebook sur son téléviseur, ce service montre vite ses limites et passe quasiment inaperçu du grand public.

Le 19 novembre 2009, les jeux apparaissent sur Freebox. Cela coïncide surtout avec la sortie de Elixir, l’environnement de développement sur Freebox ouvert au grand public. A l’occasion des Elixir dev days, organisés les 30 et 31 janvier 2010, permettant aux développeurs de se faire la main sur ce nouvel environnement, Free annonce la sortie prochaine du Free Store. Il faudra attendre le 10 août 2010, en plein été, pour qu’il sorte.

Pourquoi si peu d’engouement ?

Elixir est l’aboutissement ultime de la possibilité pour tout un chacun de créer son application sur la télévision en accédant à la quasi-intégralité des possibilités du décodeur. Nul autre opérateur n’a su aller aussi loin. Alors pourquoi si peu d’engouement pour un événement aussi important ?

Tout simplement parce que cela ne suffit pas d’ouvrir ses API et une boutique permettant de monnayer ses applications. Pour rivaliser avec un iTunes Store, il faut comprendre ce qui a fait son succès : l’environnement de développement, bien que propriétaire, est agréable et ergonomique, de nombreux outils d’aide au développement et didacticiels sont fournis et la communauté des développeurs est très active. Tout le contraire de l’environnement de développement Elixir.

Pour développer sous Elixir, il faut avoir un environnement Linux adapté. Le code source est disponible sur subversion et doit être recompilé. En guise de didacticiel, les jeux développés par Free sont fournis en exemple. Pour le reste, il faut se débrouiller.

Elixir est une surcouche de JavaScript, un langage bien connu puisqu’il est embarqué sur tous les navigateurs Internet. C’était de bon augure. Mais en réalité, la programmation en JavaScript est assez limitée puisque tout ce qui est visuel doit être réalisé en Enlightenment Foundation Libraries (EFL ou E16). EFL est une surcouche graphique du système X11 d’Unix créé dans les années 90 optimisée pour fonctionner sur des environnements embarqués à faible puissance de calcul. Ce langage continue à évoluer, la version E17 est disponible en version bêta, mais bien plus lentement que ce qui se fait par ailleurs. La communauté EFL est réduite. La logique de ce langage est déroutante tant les principes sont différents d’un langage classique, même pour un développeur confirmé.

Développer en Elixir nécessite donc un apprentissage complet et complexe. Il y a peu de possibilités de réutiliser des outils créés avec d’autres langages. Les développements en deviennent plus longs et plus complexes. Développer en Elixir nécessite une implication totale du développeur, ce qui est possible pour des étudiants, mais plus complexe à mettre en place en entreprise.

Aujourd’hui, seuls la société Go Prod et quelques développeurs individuels qui se comptent sur les doigts d’une main semblent impliqués dans Elixir. Pour Go Prod, cela se comprend puisqu’ils sont partenaires de Free. Ils ont réalisé le portail du site Internet de Free, celui d’Alice, le site consacré à Elixir, le moteur de recherche BabyGo de Free pour les enfants, l’application FreeAngel de contrôle parental ainsi que quelques applications sur iPhone bien connues de Freenautes.

Mais au-delà de ces quelques pionniers, personne ne répond à l’appel de Free, pour l’instant…

Franck Beulé
Chef de projet Agile, expert des technologies de l’Internet et en ergonomie du Web

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